Wednesday 18 July 2012

Mexique : de la dictature parfaite à la démocratie imparfaite


Publié le | Laisser un commentaire


L’élection présidentielle mexicaine a eu lieu le 1e juillet 2012. Le soir-même, Enrique Peña Nieto a été déclaré vainqueur avec 38,21% des voix. Dès l’annonce de ce résultat, dans les rues de Mexico et dans le monde entier, le peuple s’est levé. Pour les manifestants, il y a eu fraude. Non seulement l’opinion aurait été manipulée par des médias corrompus, mais des urnes auraient été volées et les résultats truqués.


L’élection présidentielle mexicaine a eu une conséquence positive : celle d’unir (dans l’adversité) le peuple mexicain. Le soir de l’élection, il n’accepte pas les résultats annoncés (38,21% pour Enrique Peña Nieto du PRI, 31,85% pour Andres Manuel Obrador, candidat de la gauche, et 25,46% à Josefina Vazquez Mota, du Parti action nationale (PAN, conservateur, au pouvoir)). Dans les heures qui suivent, des manifestations sont organisées un peu partout dans le monde. Une réaction très rapide permise par une opposition très forte et relativement ancienne à Enrique Peña Nieto. Alors qu’il était seulement candidat, il cristallisait déjà contre lui un mouvement que ses opposants comparent aux printemps arabes.

“Yo soy 132″, figure phare de cette révolte est né le 11 mai 2012. Alors que Peña Nieto est en campagne à l’Université iberoaméricaine de Mexico, une manifestation spontanée s’organise contre lui. Le quadra photogénique tente alors de convaincre les médias que les manifestants sont de «  faux étudiants  ». Pour prouver le contraire, 131 d’entre eux se filment brandissant leur carte d’identité. La vidéo circule sur internet. De nombreux mexicains se rallient à la cause de ces étudiants en s’autoproclamant 132e.


Une fraude institutionnalisée

Pour tous les 132e, les raisons d’honnir Peña Nieto sont multiples. Durant toute la campagne, ils l’ont qualifié de candidat de la fraude et de la corruption. Pour eux, les premiers corrompus sont les médias mexicains et en particulier les deux chaines de télévisions principales : Televisa et TV azteca. Parmi les textes de référence de Yo soy 132, figure un article de The Guardian révélant l’existence de l’équipe Handcock et d’un accord financier signé en 2005. Selon le journal anglais, l’équipe Handcock est un bureau secret de Televisa. Son but : améliorer l’image de Peña Nieto et dégrader celle de son principal adversaire, Manuel Lopez Obrador. Son moyen de propagande : des spots publicitaires achetés par le PRI.

Non content de manipuler l’opinion, Peña Nieto a directement acheté des voix. Des cartes cadeaux, de l’argent ou de la nourriture ont été offerts aux citoyens en échange de leur vote. Certains d’entre eux n’ont pas hésité à l’avouer devant les journalistes. Ces pratiques sont à l’origine de désordres ubuesques tels que le “Sorianagate” : au lendemain de l’élection, des magasins de la chaîne Soriana ont été débordés par les clients qui affluaient en masse avec des bons d’achat offerts par le PRI. Leur valeur : de 100 à 1500 pesos (6 à 90 euros). Dans une vidéo, une cliente déclare : « On me l’a donné en me disant qu’elle valait 500 pesos et elle ne vaut que 100 pesos, que puis-je acheter avec ça ? Je trouve ça incroyable de n’avoir que ça pour un vote. On m’a dit de voter pour le PRI en échange de cette carte ».
Certains citoyens corrompus ont été chargés de recruter d’autres électeurs, et ce jusqu’au jour de l’élection, devant le bureau de vote. Un Mexicain l’explique dans une vidéo de France 24 : c’est un véritable système de vente pyramidal qui a été mis en place. Le PRI a organisé des réunions durant lesquelles il a repéré ses agents capables eux-mêmes de recruter de nouveaux électeurs. Ainsi, selon une étude de l’organisme alliance citoyenne, un Mexicain sur 4 a été sollicité pour vendre son vote pendant la campagne.

Et la fraude ne s’est pas arrêtée là. Elle se serait poursuivie jusqu’au dépouillement des urnes. Selon l’analyste Laura Carlsen, l’évolution des résultats publiés au cours de la nuit du 1e au 2 juillet est statistiquement impossible. La fraude est particulièrement flagrante dans certains bureaux de votes où le nombre de voix est supérieur au nombre de votants. Plus surprenant encore, dans le village de Santiago Tutla, Enrique Peña Nieto avait promis aux habitants que s’ils votaient pour lui, il leur construirait des toilettes publiques. Il a obtenu 526 voix sur 529.

Ces opérations coûtent cher. Trop cher. Enrique Pena Nieto aurait dépensé près de 50 millions de dollars pour sa campagne. Un montant largement supérieur au seuil légal de 21,7 millions de dollars.

Des casseroles

Au delà de l’élection, les manifestants craignent le retour au pouvoir du PRI qui a gouverné sans partage de 1929 à 2000. Ils gardent en mémoire sa répression sanglante du mouvement étudiant de 1968 et ses nombreuses fraudes électorales. Durant la campagne de 2012, un candidat du PRI à la mairie d’une ville de l’Etat de Chiapas a abattu un militant du PAN (parti du président actuel Felipe Calderon). Des violences qui n’ont pas empêché Peña Nieton de célébrer sa victoire en affirmant que le parti avait changé, que son règne ne serait plus synonyme d’autoritarisme et de corruption.

A titre individuel, Enrique Peña Nieto est responsable de la répression sanglante des manifestations d’Atenco. Au début du mois de mai 2006, des floriculteurs manifestent contre l’implantation d’un supermarché sur le terrain qu’ils utilisaient pour vendre leur production. Enrique Peña Nieto, alors gouverneur de l’Etat de Mexico, ordonne l’intervention policière. La répression violente entraîne la mort de deux manifestants dont un garçon de 14 ans. 26 femmes sont violées. Des activistes sont emprisonnés. Aucun policier n’a été inquiété.

“Nous voulons la démocratie, pas des feuilletons”. Ce slogan entendu au cours des manifestations du mois de juillet 2012 est une référence à la femme d’Enrique Peña Nieto, l’actrice de Telenovela Angelica Rivera. En 2010 leur mariage avait été largement médiatisé. Une gloire dont le politicien avait besoin, trois ans après la mort de sa première femme. Interviewé par une journaliste sur la raison du décès de celle-ci, il n’avait pas su répondre. Cette maladresse a donné lieu à de nombreuses rumeurs. Certains l’accusent d’avoir tué sa femme. Pour d’autres, elle se serait suicidée en raison des infidélités de son mari.

Aux paillettes des séries télé, les indignés préfèrent la culture. Et dans ce domaine, ils raillent les lacunes du futur président. Lorsque sa campagne débute véritablement, en décembre 2011, il est en visite à la Feria internationale du livre de Guadalajara. Interrogé lors d’une conférence sur les trois livres qui l’ont marqué, il est incapable de citer un seul titre de roman. Il se contente d’évoquer la bible puis La silla del Aguilla, oeuvre du Prix Nobel Carlos Fuentes qu’il attribue par erreur à Enrique Krauze.

Le candidat est donc peu crédible du point de vue de sa culture. S’il a pu convaincre certains électeurs, c’est grâce à sa maîtrise d’autres problématiques, comme celle de la sécurité. C’est ce qu’explique l’analyste Jean-François Boyer. Dans ce domaine, le président Felipe Calderon a essuyé un échec cuisant. Il avait promis de mettre fin à l’emprise des narcotrafiquants sur le pays. Or, depuis son accession au pouvoir en 2006, 50 000 personnes sont mortes dans cette guerre contre les cartels. Enrique Peña Nieto a su profité de ce bilan. Il a par ailleurs promis qu’il éradiquerait la pauvreté qui touche 46% des 112 millions de Mexicains.

Une destitution peu probable

La fraude électorale, les Mexicains y sont habitués. Déjà, en 1988, suite à une prétendue défaillance de systèmes électroniques, les résultats s’étaient inversés au profit de Carlos Salinas, candidat du PRI alors qu’il était en difficulté au début du comptage. Quand un recompte des voix a été demandé, un incendie accidentel dans le sous-sol du congrès a entrainé la disparition des bulletins de vote.

Dans les semaines qui viennent, les bulletins de vote vont être recomptés. L’institut fédéral électoral (IFE) mexicain devrait publier les résultats de cette vérification au mois de septembre. Quoi qu’il advienne, Peña Nieto ne devrait pas être destitué. D’abord parce que les manipulations et autres intimidations sont invisibles dans les urnes. Ensuite parce que même s’il est prouvé que des membres du PRI ont acheté des voix, ils seraient eux-mêmes sanctionnés. Pas le parti.

Les 132e, entre espoir et résignation

Impossible de savoir combien de Mexicains ont voté en France et quel candidat ils ont élu. L’ambassade du Mexique à Paris se contente de diriger les journalistes vers le site internet de l’institut fédéral électoral. Selon celui-ci, les Mexicains de l’étranger ont majoritairement voté pour Josefina Vàzuez Llosa, candidate du PAN (17 169 voix), puis pour Andrès Manuel Lopez Obrador du PRD (15 878 voix). Enrique Peña Nieto n’arrive qu’en troisième position avec 6 359 voix. Un résultat peu surprenant au regard des manifestations organisées par Yo soy 132 en dehors du pays.

Aujourd’hui, à Paris, le 132e, c’est Manuel, Georgina, Alberto, Uriel, Elena, Kenya ou encore Vanessa. Parmi eux, certains sont allés voter dans l’espoir d’un changement. D’autres sont abstentionnistes et le revendiquent. Kenya, étudiante mexicaine à l’EHESS, un drapeau rouge blanc vert entre les mains, a voté en 2006. Cette année, elle ne s’est pas déplacée car elle supposait que comme la dernière fois, son vote ne serait pas respecté. « Je suis pessimiste en ce qui concerne la démocratie au Mexique mais aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on peut au moins montrer au monde ce qui se passe », se félicite-t-elle. Pour elle, Peña Nieto n’a pas compris l’époque dans laquelle il vit.


Les manifestants mexicains partagent un constat : au Mexique il y a des lois, mais elles ne sont pas respectées. En premier lieu par la classe politique.

Pour Manuel, membre actif de Yo soy 132 Paris, c’est le PRI qui a répandu massivement des pratiques telles que l’achat de voix ou le financement illégal des campagnes. Alors maintenant, « la démocratie, on y croit et on n’y croit pas », explique-t-il. Pour lui, le fait qu’elle mette tant de temps à s’installer est désespérant. « La lutte pour la démocratie est très ancienne au Mexique et on avance petit à petit. Nous croyons fermement que la voie armée n’est pas la solution et qu’il faut se battre de manière démocratique et pacifiste », ajoute-t-il. Un combat non violent qui promet d’être rude. Selon toute vraisemblance, Enrique sera bien, pour les six prochaines années, le président d’un pays passé de la dictature parfaite (selon l’expression de Mario Vargas LLosa) à la démocratie imparfaite.


Céline LEMAIRE

No comments:

Post a Comment