Saturday 21 July 2012

Mexique : transition dictatoriale ou révolution démocratique ?


Le Monde.fr |
"L'été mexicain" a bel et bien commencé. Dans toutes les villes du Mexique et même à l'étranger (de Washington à Madrid en passant par Paris), des centaines de milliers de Mexicains commencent à manifester contre la fraude électorale, laquelle a entaché l'élection présidentielle du 1er juillet dernier. Après le partiel recomptage des voix, le candidat du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), Enrique Peña Nieto, a été déclaré officiellement vainqueur avec 38,21% des suffrages contre son rival Andrés Manuel Lopez Obrador (31,59%). Le résultat reste très contesté, à en croire les recomptes citoyens effectués par le site "YoSoy AntiFraude" ("je suis anti-fraude"), qui affiche un résultat inverse : 38,8% pour Lopez Obrador, 32,2% pour Peña Nieto.

Reprenant les résultats officiels, la plupart des journalistes français semblent profondément sous-estimer l'ampleur de la fraude et ses modalités. Car il est tout à fait possible de manipuler plusieurs millions de suffrages : l'histoire de la fraude au Mexique va bien au-delà de celle des sympathiques électeurs fantômes parisiens. Les journalistes français projettent en effet leur vision hexagonale de la politique sur un pays qui a été gouverné par le même groupe dirigeant de 1920 à 2000. Le PRI, qui contrôle la moitié des Etats de cette République fédérale, serait-il devenu un modèle de démocratie en un soir ? Il a, dans tous les cas, un lourd passif : de l'entre-deux-guerres à l'an 2000, la fraude a été systématique. Il est nécessaire d'en dresser une typologie pour en comprendre la portée. Les informations provenant des réseaux sociaux permettent de mieux apprécier les irrégularités survenues le 1er juillet 2012.


1) Le cas le plus important de fraude, largement ignoré par les médias occidentaux, est la fraude informatique : il est fréquent que la personne chargée d'entrer les résultats d'un bureau de vote les modifie de manière grossière, en rentrant dans le système informatique "11 voix" au lieu des "111 voix" pourtant dénombrées localement par les citoyens (Lopez Obrador a ainsi perdu des électeurs dans l'Etat du Tabasco). Le fait que les cybercitoyens mexicains aient surveillé l'élection, l'appareil photo numérique à la main, a permis de faire remonter ce type d'informations.

2) L'achat organisé de votes a lui déjà été mentionné par les journaux : pour bien visualiser ce type de fraude, il est nécessaire d'imaginer un François Hollande en campagne électoral, portant un T-shirt Carrefour et se rendant dans les banlieues pour distribuer massivement des bons d'achat valables dans la dite supérette à ses futurs électeurs, devenus dès lors ses obligés. La vénalité du vote constitue aujourd'hui une des principales sources d'indignation des citoyens mexicains, lesquels ont commencé à boycotter l'entreprise Soriana, laquelle a maladroitement conservé la ligne "PRI" sur ses tickets de caisse. Lopez Obrador, non dénué d'humour, a fait tapisser son QG de campagne avec les bons d'achats distribués par la chaîne de supermarchés.

3) Enfin, on peut évoquer pêle-mêle les violences physiques, les intimidations et les mille manières d'empêcher quelqu'un de voter (l'assigner dans un bureau de vote non habituel et loin de sa résidence, ne pas lui faire parvenir son bulletin de vote s'il est domicilié aux Etats-Unis ou en Europe). Et ce, sans compter la décision officielle de mettre à la disposition des électeurs, dans l'isoloir, des crayons de bois pour qu'ils cochent le nom de leur candidat favori (ce qui permet aux fraudeurs de gommer ensuite le choix fait par le citoyen et de modifier le sens de son vote).

Hors du domaine de la fraude, rappelons aussi les habituels défauts du système politique mexicain tels la grande partialité des médias et le faible niveau d'éducation à la chose publique, autant de maux dénoncés par les "indigné " mexicains du mouvement "YoSoy132". Resituée dans son contexte historique et politique, il est ainsi possible de mieux saisir l'origine d'une mobilisation qui n'est pas sans rappeler le "printemps arabe". La temporalité joue en la faveur du mouvement : à la différence de la société française, le Mexique ne connaît pas de grande trêve en août (il n'y aura pas de démobilisation liée aux vacances) et surtout, l'investiture du futur président ne se fera qu'en décembre comme le veut le calendrier institutionnel.

D'ici à l'investiture, les mouvements citoyens mexicains ont donc un boulevard pour faire invalider l'élection d'Enrique Peña Nieto, figure particulièrement honnie pour sa gestion de l'Etat de Mexico comme gouverneur (on lui reproche d'être le commanditaire du massacre et des viols d'Atenco en 2006). Peu de temps avant sa mort, l'écrivain Carlos Fuentes déclarait : "je ne veux même pas penser que Peña Nieto puisse être président". Peut-être les indignés mexicains lui donneront-ils raison ?

Source: Le Monde

No comments:

Post a Comment